Il y a des jeux qui vous hypnotisent dès le premier regard, qui vous hantent doucement, jusqu’à ce que vous craquiez. Odin Sphere, pour moi, c’est ça. Sorti sur PS2 en 2007, il m’avait tapé dans l’œil de par ses graphismes féériques empreint de mythologie nordique. Cependant, l’achat d’une PS2 n’étant pas dans mon budget à l’époque, le jeu est resté un rêve lointain. 10 ans plus tard, lorsque l’on m’a offert une PS4, j’ai croisé Odin Sphere Leifthrasir d’occasion dans un bac chez Micromania à 25€. Instantanément, des réminiscences de cet acte manqué de ma jeunesse ont ressurgi. Je l’ai acheté pour faire plaisir à mon moi plus jeune… puis je l’ai laissé dormir huit ans sur mon étagère. Pourquoi ? Aucune raison particulière. Peut-être parce qu’il y avait toujours un autre jeu à faire avant. L’aurais-je acheté pour rien ? Aujourd’hui, dans ma quête de compléltion de mon backlog, j’y appose enfin mes mains. Est-ce que l’aura que je lui accordais brillera toujours autant, une fois manette en main?

Vanillaware, artisans du jeu 2D

Vanillawareest un studio de niche par excellence. Des jeux en 2D somptueux, une identité artistique unique, et un gameplay qui oscille toujours entre brillant et frustrant. J’avais adoré Dragon’s Crown sur PS3, notamment son charadesign super caricatural mais ultra-charismatique, qui fait qu’on se souvient de chaque personnage.

Les bras du roi, démesurés, nous laissent imaginer sa puissance…

Leur dernier jeu, Unicorn Overlord, sorti récemment, continue dans cette veine avec un Tactical-RPG ambitieux et magnifique, prouvant encore une fois que Vanillaware fait de l’art et ose le renouvellement. Le jeu est un succès critique et commercial, ce dont le studio avait grandement besoin. Malgré leurs jeux marquants, il sont à la limite d’une frontière fragile : bien qu’artisans exceptionnels du jeu vidéo 2D, Vanillaware est souvent au bord de la fermeture après leurs sorties, malgré les succès critiques. Odin Sphere Leifthrasir incarne parfaitement cette dualité, malgré son presque million de ventes tout support confondu.

Le graphisme est vraiment somptueux …

Une fresque nordique classique, mais efficace

L’histoire d’Odin Sphere Leifthrasir est une grande saga tragique inspirée de la mythologie nordique, où plusieurs royaumes s’affrontent dans une guerre cataclysmique sous l’influence de sombres prophéties. On y incarne cinq personnages aux destins entrelacés, chacun vivant sa propre histoire avant que tous les fils narratifs ne se rejoignent. Gwendolyn, la valkyrie en quête de reconnaissance, Cornelius, le prince amoureux transformé en créature bestiale, Mercedes, la reine fée aux prises avec ses responsabilités, Oswald, le chevalier maudit, et Velvet, la dernière héritière d’un royaume en ruine. Tous évoluent au sein du royaume d’Erion, terres en conflits avec leurs voisins, en quête du Chaudron.

Si la narration est bien menée et propose une construction en kaléidoscope intéressante, elle reste d’un classicisme assez convenu, avec des archétypes très marqués et des enjeux que l’on devine à l’avance. Pourtant, c’est une histoire portée par sa mise en scène et sa direction artistique magistrale, où chaque écran ressemble à une illustration de conte. Même si l’on devine la fin, on reste accroché au voyage, et la beauté de l’univers aide à pardonner le manque de surprises du scénario.

Le jeu n’évite pas certains écueils …

Un beat them all, mais aussi un Action-RPG

Odin Sphere est un beat them all action rpg en arènes sphériques 2D : comprenez par là qu’aller à gauche ou à droite vous fait tourner en rond, il faut emprunter des sorties pour aller de sphères en sphères jusqu’à atteindre le boss de la zone, en tapant tout ce qui bouge. Contrairement à des jeux comme Muramasa: The Demon Blade (du même studio) ou Guardian Heroes, il intègre une vraie couche RPG, avec de l’XP, des compétences à débloquer et un système de progression unique basé sur la cuisine. Oui, pour augmenter ses stats, il faut manger. L’expérience des monstres reste anécdotique pour progresser, en dehors des boss.

Au début du jeu, planter des fruits est primordial pour augmenter son niveau rapidement

Un jeu apétissant :

Le jeu propose un système où l’on peut préparer des plats à partir d’ingrédients trouvés sur le terrain, et chaque recette octroie une quantité d’expérience non négligeable. C’est à la fois original et primordial, car sans ça, on peine vite face aux ennemis les plus résistants. Les fruits crus atteignent vite leur limite : ici, c’est en gobant un gratin de langoustines que l’on devient plus fort.

Je ne comprends pas la fascination des jeux avec la cuisine

Un gameplay arcade convenu mais solide :

Côté combat, c’est nerveux, fluide, et ça répond parfaitement, mais ça devient aussi très répétitif. Le gameplay repose sur des enchaînements simples et des compétences qui permettent de varier un peu les attaques, mais le manque de profondeur dans les combos finit par se faire sentir. On est loin de la richesse d’un Bayonetta, et même si l’Action-RPG sauve un peu l’ensemble, on sent vite que le jeu repose sur un certaine répétition. Heureusement, chacun des 5 personnages se renouvelle suffisament pour relancer l’aventure.

Gwendolyne et Cornelius ont des combos différents mais la différence se ressent surtout dans le rythme des affrontements.

Une difficulté parfois frustrante, mais non punitive

Odin Sphere joue avec la frustration, mais pas au point de décourager. Certains boss ont des patterns un peu injustes, et la gestion de la stun lock (où l’on se fait enchaîner sans pouvoir réagir) peut vite énerver. Il n’est pas rare de se retrouver bloqué entre 2 attaques jusqu’à voir sa barre de vie fondre sans pouvoir rien faire : frustrant. Heureusement, le jeu reste relativement souple avec la possibilité de sauvegarder quand on veut, refaire les niveaux, re-spawn avant le boss, et des mécaniques qui permettent de grinder un peu si besoin.

L’action est parfois illisible, et il n’est pas rare de perdre un combo sans vraiment savoir pourquoi.

Là où un Muramasa, un autre jeu de Vanillaware sur Wii, pouvait être rude, Odin Sphere offre une expérience plus accessible, bien que certains passages demandent sans doute de s’accrocher. Personnellement je n’ai rencontré aucun réel obstacle, mais je suis plutôt bon joueur, et je ne joue pas à l’expérience classique. C’est un jeu qui se savoure avec patience, mais qui peut aussi lasser si on le joue sans pauses.

Un jeu fait pour la Vita ?

Si la version PS4 est visuellement impeccable, j’ai le sentiment que la version PSVita est la plus adaptée. Son gameplay en arènes et sa structure épisodique semblent parfaits pour des sessions courtes, et le confort portable permettrait de mieux gérer l’effet overdose que j’ai ressenti sur console de salon. Un jeu qui s’apprécie en fractionné, et qui gagne à être joué sans excès. Ne mérite-t-il pas un portage sur Nintendo Switch ?

Mon point de vue de développeur :

Vu que j’aime bien concevoir et réfléchir à des jeux, qu’est ce qui fait d’Odin Sphère Leithrasir un modèle dont on peut s’inspirer ? Je vais tenter d’y répondre en 5 points :

Direction artistique, impact visuel, sound design

La direction artistique de Vanillaware est exceptionnelle. L’équipe graphique suit son style titre après titre. L’animation doit sans doute être faite à partir de rigs, si on se fie à ce que wikipédia dit, car inspiré des animations adobe flash de l’époque et du bone tool. Le rigging animation est le processus de création d’un squelette (rig) pour un personnage ou un objet en animation 3D ou 2D. Ce squelette est constitué d’articulations (bones) qui permettent de manipuler facilement le modèle sans avoir à animer chaque élément individuellement. Une fois le rigging terminé, l’animateur peut poser et animer le personnage en déplaçant ces articulations, ce qui simplifie l’animation et garantit une meilleure fluidité des mouvements. Le workflow peut donc aisément être séparé entre les graphistes et un intégrateur, ou pas.

Cela permet d’avoir une identité singulière, laisser libre cour aux artistes, qui ne ralenti pas le processus de développement : il est toujours possible aujourd’hui de faire une oeuvre 2D au rendu artistique fort.

L’audio n’est pas en reste, avec une bande son instrumentale totalement dans le thème, mêlant thèmes médiévaux et ambiances sonores riches. Des choeurs rejoignent parfois certaines musiques, donnant alors toute la prodondeur mythologique qu’on attend. Les effets sonores restent cependant assez redondants.

Le doublage est intégralement en anglais et japonais, avec des acteurs en sur-jeu. Le travail est conséquent, peut être même trop. Des onomatopées auraient pu suffir, comme dans Zelda Breath of the Wild pour les dialogues d’importance moindre.

Chaque personnage est très charismatique, et dispose de son doublage !

Narration et structure du jeu

Le choix d’une narration en kaléidoscope est une approche de gamedesign classique : elle permet de recycler les assets efficacement et d’engager le joueur dans le récit. Vu qu’on parcourt le même monde, le joueur accepte plus facilement de voir les mêmes choses, vécus sous un angle différent. Certaines variations minimes aident à éviter le sentiment de lassitude. Le tout se conclut par la réunification des 5 scénarios en un 6em, poussant le joueur à finir les autres histoires.

Certains protagonistes reviennent dans plusieurs scénarios…

Gameplay et level design

Le système de combat en arènes sphériques est original mais n’apporte, de mon point de vue, pas grand chose. Cela brise la monotonie des arènes de manière assez limitée

Le mélange beat them all / action RPG montre vite ses limites : je pense qu’il est superflu et qu’ils auraient pu se contenter des phozons pour augmenter les statistiques des compétences.

La cuisine brise le rythme de l’aventure, peut être pour mieux digérer la répétitivité du gameplay. L’intérêt ludique est présent : trouver les recettes et les ingrédients est un moteur intelligent pour avoir la motivation à augmenter son niveau. La durée de vie s’en trouve gonflée. C’est bien executé et cela reste un bon système, mais je le trouve personnellement de trop. D’ailleurs, le programmeur du jeu dit dans son article que certains joueurs à l’époque de la PS2 étaient passés totalement à coté, et avaient donc eu du mal à finir le jeu, ou l’avaient tout simplement abandonné.

C’est ce tout qui éveille en moi ce sentiment de lassitude au bout de 10h sur la quarantaine que propose le titre.

La carte peut paraitre déroutante de prime abord, mais cela reste assez intuitif à l’usage.

Expérience utilisateur et difficulté

La difficulté d’Odin Sphere Leithrasir est parfois frustrante mais pas punitive : cela permet d’éviter d’apréhender les affrontements, mais cela enlève une tension propre à ce genre d’expériences vidéoludiques. Il y aurait peut être du avoir un bonus propre à la complétion d’un monde sans mourir pour se forcer à rester vigilant lors des combats. Le Ranking d’une arène offre des bonus anecdotiques : il n’est pas nécessaire d’avoir un S pour obtenir l’item d’une zone. D’après les tests de l’époque, le mode classique offre plus de challenge, mais l’expérience globale est moins bien équilibrée.

Pour éviter le sentiment de répétitivité, peut être que les combos auraient du être plus variés ou mieux guidés : gagner des compétences devient vite superflu tant on est habitué à utiliser les mêmes enchainements, et nous n’avons rien à gagner à en explorer de nouveaux ou à les chercher.

Le jeu manque de panache dans les attaques : le finish est rarement impactant, et nous ne sentons pas la violence des coups infligés ou des magies.

Le système de craft est ingénieux et vous aidera à créer des potions puissantes pour vous aider

Le choix du support : salon ou portable ?

Pour aprécier la beauté des graphismes, rien ne vaut un bel écran. La PSVita et une télévision répondent parfaitement à ces critères. Je ne sais pas si le tactile apporte un plus à l’expérience.

Le rythme de cette production me laisse penser qu’il est adapté à des sessions courtes mais nombreuses, je m’imagine que la PSVita est donc un meilleur choix. C’est un titre qui mérite totalement une ressortie sur Switch, et plus particulièrement sur le modèle OLED. C’est un critère à prendre en compte lorsqu’on développe un jeu avec des graphismes aussi fins aujourd’hui.

J’ai également trouvé cet article de Eurogamer, une interview du programmeur du jeu : Kentaro Ohnishi, si le regard d’une personne interne au studio vous intéresse. Je vous le recommande chaudement !

Un Vanillaware borderline, mais qui mérite sa place

Vanillaware a toujours été un studio à la limite entre le succès et la survie, et Odin Sphere Leifthrasir en est un bon exemple. Riche et envoutant, il l’est : un jeu sublime, une oeuvre d’art, une fresque mythlogique, mais répétitive, une expérience envoutante, mais qui demande des pauses. Ses défauts peuvent être pardonnés : si vous cherchez un beat them all solo avec une touche RPG et une direction artistique exceptionnelle, ou que vous souhaitez trouver une nouvelle inspiration, il mérite toujours que l’on s’y attarde. Il y a peut-être une raison pour laquelle il est resté si longtemps sur mon étagère, mais maintenant que je l’ai lancé, je sais que j’y reviendrai encore plusieurs fois avant de le ranger définitivement.

La mort guête tous les personnages du royaume d’Erion

Et vous ? Avez vous déjà entendu parlé de ce studio ou joué à un de ses jeux ? Une telle direction artistique 2D vous attire-t-elle encore aujourd’hui ? Hésitez pas à partager votre expérience sur un titre d’un studio de niche à l’identité marquée !

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